Dent de Crolles : traversée P40-Guiers Mort

Date
12 juin 2011

Durée
13h

Type de sortie
Classique
Département
Isère (38)

Massif
Chartreuse

Commune
Crolles

Photos







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Descriptif / Compte-rendu

Lors de notre sortie aux Cuves de Sassenage en février, nous avions longuement observé avec convoitise la Dent de Crolles, et l'heure est venue d'enfin la traverser.

La course choisie est P40-Guiers Mort, avec une possibilité de sortie au trou du Glaz.

Dans la littérature, on lira des choses comme "traversée réservée à des spéléologues confirmés", "pour spéléos très confirmés, à l'aise dans les méandres étroits." etc. Or voilà : Seb et moi sommes encore des padawans de la spéléo, même si en neuf mois de spéléo, on a eu l'occasion de bouffer pas mal de calcaire, et partir dans des courses de plus en plus longues et difficiles. Notre cas soulève des questions au sein du Bureau : du fait de l'engagement de la course (traversée en rappel), est-ce bien raisonnable? Il paraît qu'il y a un méandre plutôt pénible, et il y a aussi ce fameux "pré qui tue" dans la marche d'approche... Après moultes palabres, nous finissons par avoir notre ticket d'entrée avec une recommandation simple : ne pas merder. Côté spéléos confirmés, nous avons Jean, et sa méthode en 3 phases (tu te longes, tu te décrolles, tu te démerdes), Sylvain, Fabien, enfin, Antoine, des Spitteurs Pan qui nous rejoindra sur site.

Le choix d'un long week-end (Pentecôte) va nous permettre un aller-retour serein en voiture depuis Paris, parce que, mine de rien, la Chartreuse, ça n'est pas la porte à côté. Seb, en congés dans le coin, nous rejoindra sur place, nous sommes donc quatre franciliens à partir d'Issy-les-Moulineaux dans la charbo-mobile ce vendredi 10 juin. Route sans histoire, pause pain/charcuterie/pâté en mode kosovar sur l'autoroute. Arrivée au gîte vers trois heures du matin. Comme il n'y a pas école le lendemain et que la traversée est prévue le dimanche, rien ne nous interdit de vider le stock de bière prévu à cet usage. Une heure plus tard, la table de la cuisine couverte de cadavres verts (*neken) ou fumés (16' série limitée), il est temps de laisser le bon air de la montagne aérer en position horizontale nos bronches sclérosées de parisiens.

Journée logistique

Samedi midi, petit déj en terrasse avec vue sur la vallée. La Dent est juste derrière nous. On se scinde en deux équipes pour la journée. Avec Jean, nous allons repérer l'entrée du P40 et déposer un maximum de matériel spéléo et de bouteilles d'eau que l'on n'aura pas à porter le lendemain. Sylvain et Fabien vont faire le plein de victuailles après nous avoir déposés au col du Coq. Hormis Jean, nous souffrons tous trois d'un truc-pas-frais mangé la veille... peut-être cette terrine de sanglier? Va savoir... en tous cas, l'incident est toujours proche et les fonds des caleçons menacés à chaque instant. Quant aux émanations gazeuses, c'est probablement cette vision de l'enfer dont parlait Dante Alighieri.

Nous voici enfin au pied de ce fameux pré-qui-tue. J'appréhende un peu la montée : ma dernière rando en montagne remonte à des années, avec 10 kg de masse corporelle en plus, et j'avais cru mourir cent fois... Pour être pentu, c'est pentu. Sur les cartes IGN les courbes de niveau reserrées sont assez jolies pour l'oeil, elles le sont moins pour les mollets. Le souffle devient court... mais ô miracle, le temps de l'échauffement, on retrouve notre second souffle au bout de vingt minutes. Nos sacs sont lourds des combinaisons, baudriers et bouteilles d'eau qu'on laissera en haut. Après le pré, un petit passage en forêt puis arrive la roche. Un épais brouillard nous masque le paysage. Nous arrivons au Pas de l'Oeille, et assez rapidement au sommet. Cinq cents mètres de dénivelé dans les jambes, ça ouvre les alvéoles et l'appétit. En lieu et place de barres chocolatées, on aurait été mieux inspiré de monter du fromage, de la charcut', du pain et du vin : triste époque... Commence la recherche du P40 à partir d'instructions assez approximatives, et de coordonnées GPS pas très précises. Le lapiaz est superbe, des trous s'ouvrent tous les 50 mètres : un régal pour le spéléo. C'est la première fois pour ma part que je marche sur un lapiaz avec mon regard nouveau de spéléo et je suis un peu comme un gosse à Noël. Mais lequel est-ce, ce foutu P40? On a une vague idée de l'emplacement... mais c'est pas gagné. Le brouillard nous masque la vue par intermittence.

Enfin, Jean repère le trou, avec sa plaque inox gravée "P40" on ne peut pas se tromper. La lumière n'y pénètre pas, c'est pour tout dire, peu engageant... et assez impressionnant. L'heure n'est pas à la contemplation. Nous mettons à l'abri du vent et des regards le matériel spéléo et l'eau : mission accomplie.

Un petit coup de fil à nos camarades pour que ceux-ci aillent nous chercher au Col et on se remet en route. Ceux-ci sont déjà hilares - visiblement la mission "bière" est autant un succès que la recherche du P40.

Le temps de rejoindre le Gîte à St Hislaire et c'est déjà l'heure de l'apéro. Pour ce qui est des denrées liquides, nos deux compères ont plutôt bien assuré, tant et si bien que le frigo est plein de brunes, blondes et rousses qui respectent la mousse. Le supermarché local est un modèle de variété dans le genre, et l'amateur pourra même déguster des Porter anglaises. On se réserve les Duff chères à Homer pour la sortie de la grotte. On sait bien vivre dans le coin.

Antoine nous rejoint en début de soirée, Seb ne tardera pas à lui emboîter le pas. On nous explique les techniques de rappel, notamment le très rassurant noeud dit "trompe la mort". Jean paie sa réserve privée de vin, qui accompagnera une bolognaise faite avec amour (et aussi du céleri branche, des carottes...), mais on s'imposera un coucher tôt (avant une heure du mat' selon le référentiel francilien).

La Dent, du P40 au trou du Glaz

Douloureux réveil quelques heures plus tard. La terrine de sanglier poursuit imperturbablement ses ravages : le séjour tout entier sera donc perturbé par des dégazages méphitiques. Copieux petit déjeuner, et atelier rituel de préparation de sandwiches pour spéléos. On lève le camp en douceur. Nous partons à deux voitures au col du Coq, puis Jean et Antoine repartent déposer une voiture de l'autre côté de la Dent, côté Guiers Mort.

C'est reparti pour le pré-qui-tue. Le spectacle de spéléos en sous-combinaisons et casques sur la tête amuse les promeneurs du dimanche. Je charrie Fabien qui peine dans les montées, mais je le paierai plus tard puisqu'il est évident que sous terre, il me mettra minable...

Arrivés au P40, il est 10h. Nous prenons notre temps pour nous équiper puisqu'il faut attendre Jean et Antoine partis à l'autre bout du monde. Le temps de déconner un peu, prendre des photos, ajuster nos genouillères, et équiper la tête de puits, ces derniers nous rejoignent. Le P40 est baigné de lumière, le soleil étant haut dans le ciel. C'est beaucoup moins impressionnant que la veille et ça tombe bien, la suite est en bas... Vu de l'intérieur, c'est un assez joli puits, bien ciselé, très photogénique... Au pied de celui-ci succède une étroiture verticale discriminante (puits du Cabri) : il paraîtrait que si l'on passe cette étroiture, on pourra parcourir tout le reste du réseau... La consigne est de ne rappeler la corde qu'une fois tout le monde passé. Je ne suis pas du genre à me vexer, mais comme j'ai passé cette étroiture tranquillement, Fabien en déduit qu'il passera sans souci, et rappelle la corde, au grand dam de Jean... Jean que je ne vois jamais stressé ni nerveux est un peu tendu par la perspective de cette traversée : elle est loin la méthode "longe/décrolle/démmerde". Le gros risque de la traversée, qui est nouvelle pour tout le monde (du moins sur la portion P40-trou du Glaz), est de descendre trop bas, ravaler la corde, et faire la traversée par le réseau des Polonais. Réseau connu pour son étroitesse et sa pénibilité... Il est 12h30, toute l'équipe est en bas et a passé la première étroiture, la traversée commence.

On descend une galerie de stratification assez basse que l'on quitte par une corde équipée en fixe (nota : ne pas se fier à la littérature qui dit "échelle", et garder croll/poignée avec soi). Une progression spéléo sans histoires nous mène en tête du puits des trois soeurs. Comme ça frotte et que la suite n'est pas évidente, on fait un relais sur la première plate-forme. C'est dans cette portion du réseau que l'on risque de se tromper et aboutir au méandre des polonais... Il ne faut pas trop descendre. Sylvain recherche la suite en opposition dans un méandre assez exposé, tandis que Fabien descendu plus bas cherche de son côté. Visiblement ça n'est pas par là... On finit par trouver la suite du méandre, à mi-hauteur du puits. Sylvain était en fait au-dessus d'une lame qui sépare le puits en deux, et non dans un méandre. Le dernier descendu ayant perdu en cours de route la corde de rappel trop courte, il faut retourner au palier la récupérer à l'issue d'une remontée en douceur sur une corde qui frotte... c'est Sylvain qui s'y colle.

Nous nous engageons dans un premier méandre où la progression est assez aisée car on est quasiment tout le temps au plancher. J'écris "aisée" a posteriori car le vrai méandre pénible reste encore à venir. En chemin, Antoine repère une bouteille d'eau qui semble s'être échappée d'un kit précédent. A l'issue d'une gymnastique (le méandre est étroit et j'ai par moment dû retirer mon casque), j'arrive à la récupérer. On apprendra par la suite que la bouteille était là depuis..... un certain temps et que Fabien a failli s'empoisonner avec! Encore un fait à inscrire à la légende du club. Nous finissons par sortir de ce foutu méandre, ponctué de trous et d'embûches, pour franchir un petit ressaut. A ce moment je me dis que les méandres c'est pas vraiment mon truc... et pourtant ce n'est que le début! Nous entamons donc la traversée du Fameux Méandre, si pénible selon la littérature. On l'attaque par le plafond. C'est étroit et peu confortable : parfois on passe debout, parfois plié en deux, quand il ne faut pas ramper entre les deux banquettes. Comme le fait bien remarquer Jean, c'est le genre d'endroit où il faut prendre sur soi et ne pas perdre ses moyens. Sous nos pieds, peut-être 10 mètres : ne pas glisser! Fabien est en tête du convoi et avance bien. On le perd de vue, mais des échos du thème des Tontons Flingueurs nous rappellent qu'il est toujours en vie et pas loin... La progression est bien conforme à la description : lente, pénible. Comme nous restons très haut, il n'est pas toujours évident de trouver des appuis. Chacun aura son moment de souffrance. Lorsque le convoi ralentit soudainement devant et que l'on doit s'arrêter sur des prises glissantes, la situation devient vite inconfortable! J'ai maudit Seb camarades un certain nombre de fois, ou par exemple il reprenait des forces sur une banquette à un mètre de moi alors que j'étais sur un passage délicat. Je me retrouve d'ailleurs à glisser dans le méandre et à paniquer de me retrouver coincé... par chance des prises de pied se présentent in extremis comme par miracle. Alors que l'on pense avoir trouvé la bonne prise, la dudule se coince entre la roche et les hanches. Quand ce n'est pas ce fichu kit qui se bloque dans un pincement en contrebas alors que l'on cherche à remonter pour trouver de meilleures prises. Nous descendons sur un plancher de méandre ponctué de trous-dans-lesquels-il-ne-ferait-pas-bon-tomber. Nous arrivons sur le puits dit des Pompiers. Plus qu'une vingtaine de mètres de souffrances. Enfin, ça finit par s'élargir et devenir de la progression un peu plus standard en méandre : prises nombreuses, progression en opposition facilitée. Pas mécontent de quitter ce plafond de méandre étroit et inconfortable. C'est pourtant quasiment arrivé au plancher que Seb va se coincer et brûler d'inutiles calories en se dégageant péniblement. La progression devient aisée, nous profitons de pissotis au plafond pour remplir nos dudules. La sortie du méandre est comme une libération. Fabien nous attend depuis longtemps et nous arrivons sous ses railleries. Il a atteint le plancher du méandre bien plus tôt que nous alors que nous nous fatiguions inutilement au plafond, et a pu progresser bien plus rapidement. J'ai une soif de damné, on ne m'y reprendra pas, mes prochaines sorties se feront avec un camelbag : en méandre, trop difficile de sortir une bouteille d'eau de son kit, quand on a la chance que le kit d'eau n'est pas trois spéléos devant soi! Fabien s'est juré de passer à l'électrique tant la progression en méandre est pénible avec une Ariane...

La suite est verticale et les rappels se succèdent : d'abord l'assez grand puits du Balcon. Au balcon, nous donnons l'impression d'une file de parachutistes attendant le "go!" du pilote. Un palier coupe le puits en deux. On accède ensuite au puits suivant, légèrement arrosé, par une faille. Enfin nous arrivons en haut de la salle des douches, qui doit son nom à son puits arrosé. L'eau est glacée, on n'a pas envie de rester à admirer le paysage... Alors vite on descend et on court se mettre à l'abri dans le boyau qui poursuit l'exploration. La suite est longue sur le plan, mais très courte en parcours. On arrive d'abord sur un beau plancher stalagmitique de 40 cm d'épaisseur, et la recherche de la sortie (le trou du Glaz) se fait... en suivant le courant d'air! Nous parcourons de belles galeries spacieuses - bien qu'un peu basses - et voyons de beaux exemples de gélifraction. Bientôt, la lumière du jour : c'est le porche du Glaz. De la glace est encore présente dans la grotte.

Il est 19h30, nous avons terminé la première partie de la traversée. Nous déjeunons dehors avec une belle vue sur la vallée. C'est là que nous réalisons que nous avons commis une grosse erreur stratégique : depuis ce matin 7h, nous n'avons rien mangé, normal que ça tire un peu sur nos organismes... Nous aurions dû plutôt prendre des forces avant de rentrer dans le P40. Je suis motivé à l'idée de poursuivre la traversée, mais je crains de trop tirer sur les réserves. Je me donne la durée d'un sandwich pour réfléchir. Antoine et Seb déclarent forfait pour la suite. Sept heures de spéléo trois étoiles c'est déjà pas si mal : je jette l'éponge du bout des doigts. Jean, Fabien et Sylvain vont poursuivre jusqu'au Guiers mort. Nous rejoignons la voiture d'Antoine au Col du Coq. Nos affaires "civiles" sont de l'autre côté de la Dent, dans la charbomobile. Qu'à cela ne tienne, on s'installera dans le coffre entre deux kits.

Retour au gîte, douche et mini-raclette : il faut garder de l'apétit pour le retour de nos camarades dans quelques heures. A contre-coeur, nous ne touchons pas aux Duff fraîches dans le frigo pour les savourer avec eux (que le lecteur se rassure, il y avait encore de la réserve). Au lit dans la foulée car il faut être en forme pour la seconde tournée de raclette. Antoine ne se relèvera pas pour accueillir nos héros, devant partir tôt le lendemain. Vers 2h30, retour de la seconde équipe, bien lessivée. Apéro tardif, seconde tournée de raclette, et surtout décapsulage de ces Duff que l'on attendait depuis longtemps. Grosse déception, ça vaut à peine de la bière à keupon.

Du trou du Glaz au Guiers mort

Je laisse la parole à Jean pour ce qui s'est passé entre le trou du Glaz et leur retour triomphal.

Après une demie-heure de pique-nique au soleil, Sylvain, Fabien et moi (Jean) replongeons dans la froidure du bien-nommé trou du Glaz avec l'intention de ne pas trop traîner en route : en effet, malgré toute la loyauté de nos camarades, nous connaissons bien la nature humaine dans sa variante spéléo, et préférons leur éviter l'épreuve de rester trop longtemps seuls au gîte avec notre part de bière et de raclette.

Il semble qu'au lieu de prendre la topo nous avons emporté le plan d'une assiette de spaghettis ; cette erreur se révélera sans conséquence, Fabien et moi connaissant déjà cette partie de la traversée. C'est maintenant de la belle randonnée souterraine et tout cela avance d'autant plus vite qu'une bonne partie des puits est équipée en fixe. Ceci dit, c'était quand même clairement une bonne idée de scinder le groupe car à 6 la progression aurait risqué de s'éterniser et il y a quand même quelques méandres où il ne vaut mieux ne pas être trop épuisé. On peine parfois un peu à soulever les fesses lors des manoeuvres de corde au bien-nommé P36, et je me fais la remarque qu'il est rare qu'on passe des fractionnements à la descente après une petite dizaine d'heures sous terre.

La bien-nommée galerie des champignons nous fait méditer sur la beauté des paysages souterrains et aussi nous rappelle que nous avons un dîner qui nous attend. Tout va bien, la corde remontante est en place à la bien-nommée Cascade Rocheuse. Cette dernière n'est pas verticale et ses 40m se remontent somme toute sans trop monter dans les tours (ce qui tombe bien car on est tous les trois équipés de moteurs diesel).

On déambule, on déambule, l'image de l'assiette de spaghettis à la main. Ca commence à me travailler et ce n'est pas le franchissement du bien-nommé puits Banane qui améliore les choses. Puis, curieusement, nous rencontrons une main-courante dans un petit passage à quatre pattes. Comme nous sommes bien élevés, nous nous longeons et le passage débouche en bordure d'un vide vertigineux, c'est le bien-nommé puits Isabelle. Nous en restons comme des ronds de flan.

Sur la fin, sans doute pour éviter que les touristes ne se perdent, des murets d'un mètre de haut barrent les galeries qui ne mènent pas à la sortie. Il ne nous reste plus que la cerise sur le gâteau, le bien-nommé réseau Sanguin où l'on nage dans les cailloux ; les spéléos les plus corpulents doivent y creuser pour mettre la galerie au gabarit, mais ce n'est pas notre cas et on débouche à une heure du matin dans le grand porche de la source du bien-nommé Guiers Mort. Deux heures sont encore nécessaires pour terminer l'interminable descente jusqu'au bien-nommé parking de Perquelin puis rentrer en voiture : nous pouvons enfin mettre un terme au supplice que nous avons infligé à nos camarades en grignotant quelques cacahuètes et en décapsulant quelques canettes.


Sam et Jean

Participants

Jean C. , Fabien C. , Sylvain C. , SĂ©bastien G. , Samuel L.

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