Opération -1000 : le roman du gouffre Berger

Date
Du 10 septembre 2011 au 18 septembre 2011

Durée
9J

Type de sortie
Camp
Département
Isère (38)

Massif
Vercors

Commune
Autrans

Photos







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Descriptif / Compte-rendu
Un bon gros compte rendu, ami lecteur, que tu pourras te lire en cachette dans les toilettes de ton entreprise sur ton smartphone... ça va t'occuper quelque temps et ta productivité va s'en ressentir. Je décline toute responsabilité.

Prologue : jeudi 8 septembre

C'est la saison du grand nettoyage chez Abimes : on sort toutes les cordes et tous les mousquetons. Et comme c'est pas assez, le rouleau de corde neuve aussi. Et allez ! Les dyneemas aussi, et tous les kits (à savoir Prof, Timide, Atchoum, Joyeux, Simplet, Dormeur, et Grincheux ... non ça ne fait pas le compte, on leur trouvera d'autres prénoms plus loin). Tiens les bidons aussi. Allez, tous les bidons. 3 litres et 6 litres, pas d'quartier !

Ouf, le local de matériel est enfin propre.
Maintenant il faut que ça tienne dans un véhicule. Choisissons la charbomobile, passée en break. L'automobile teutonne tient ses promesses : n'est pas voiture du peuple qui veut ! On lui ajoute même pour le geste quelques caisses de nourriture, de bières artisanales, de bouteilles vides, et de PQ.

Voilà pour la logistique : un break partira le vendredi matin avec Jean et Fabien à son bord, une autre automobile vendredi, avec Jasmine, Yannick, Sylvain et votre humble serviteur.
Assez bossé pour aujourd'hui, pizza et gros rouge transalpin. On doit prendre des forces pour la suite.

Vendredi 9 septembre

Après le boulot, rendez-vous au local, à Issy-les-Moulineaux. On prend quelques bières pour la route et au cas où, pour le gîte. Et en voiture.

Une belle route sans histoire jusqu'au Vercors, sur fond musical de métal, de Black Sabbath à nos jours. Dans la soirée, Fabien nous envoie – miracle de la technologie moderne – une photo de son repas avec Jean : ils siègent tels des châtelains chacun en bout de la longue table de 12 personnes du gîte. Des silhouettes vertes sur ladite table nous indiquent qu'ils sont allés à l'essentiel, du moins dans les courses alimentaires du jour. Mais on sent surtout que, malgré la magnificence et la démesure des lieux, ils s'emmerdent tout bonnement en notre absence. Pour notre part, notre festin de rois s'est tenu dans la joyeuse convivialité d'une aire d'autoroute, à base de pain et de charcut achetés à l'Inter-du-coin-de-la-rue. A chacun ses rêves, nous n'avons pas renié nos racines prolétaires.
On termine la route en écoutant un CD « tombé du boîtier », récupéré dans une pile de chaos chez moi. Le nom du groupe et de l'album sont inconnus. Sur la galette, un concentré outrancier de kitsch métalleux. Nos oreilles saignent. Cette chose brutale est un concentré de hardcore du plus mauvais goût. Prends-en note, ami lecteur. Interro écrite à la fin du compte-rendu.

Dans le gîte juste habité par des ronfleurs, nous trouvons au sein du frigo l'essentiel. Fabien, réveillé davantage par une vessie gonflée de bière que par notre glorieuse arrivée, bredouille quelques mots, va s'exonérer, et se recouche. On sirote rapidement nos bières-somnifères car l'objectif pour le lendemain matin c'est : tôt.
Nous avons effectivement pour ambition le samedi de :

  • faire des courses alimentaires (j'ai dit alimentaires, l'alcool, bien que pourvu de 7 cal/g n'est pas forcĂ©ment considĂ©rĂ© comme un aliment)
  • rĂ©cupĂ©rer du matĂ©riel chez Croque Montagne (corde, kits...)
  • faire quelques courses chez ExpĂ©
  • prĂ©parer les cordes neuves
  • enkiter
  • faire du portage jusqu'au gouffre
Ami lecteur, tu te marres, et tu as bien raison pour plusieurs raisons !
  • nous venons de faire une route de nuit et il est bien tard
  • le lendemain, c'est samedi

Samedi 10 septembre

Le réveil à 8h du matin permet de se poser pas mal de questions sur la Vie, l'Univers et le Reste. Par exemple : « qu'ai-je fait dans une vie antérieure pour mériter une vilenie pareille ? » ou encore « on est passé à l'heure d'hiver, c'est ça ? » ou encore plus classiquement « allez, encore 5 minutes au lit, hein juste encore 5 minutes et je me lève, promis ». Rien à faire. Petit déjeuner et on se met en route.

Précisons à l'usage de ceux qui ne visualisent pas bien, que l'on est en montagne. Et que se rendre d'un point A à un point B signifie : col, vallée, route dix fois plus longue qu'en plaine. Cerise sur le gâteau, à l'inter-saison, la route habituelle est fermée pour travaux, rallongeant le chemin d'une demi-heure.

Nous passons récupérer du matériel commandé chez Croque Montagne, puis faire des emplettes chez Expé. C'est à Pont-en-Royans que nos estomacs se repaissent de ravioles, spécialités du cru. A noter que cette sympathique bourgade abrite aussi le Musée de l'eau, nanti d'un restaurant dont aucun d'entre nous n'a voulu tester la cave. L'heure tourne. Une équipe composée de Fabien, Sylvain et Yannick retourne au gîte préparer les kits, l'autre va assurer la logistique alimentaire. Nous sommes à plus d'une heure de route du gîte, c'est la magie des routes en montagne. Un esprit avisé aura compris que le portage de kits au gouffre, c'est fichu pour cette journée.

À l'instant où nous sortons de la grande surface qui nous offre de réjouissantes perspectives culinaires, nous apprenons que nos camarades sont enfermés en dehors du gîte : comme des ânes, nous avons gardé la clé avec nous. Par chance, ils ont accès au matériel, malheureusement ils devront tarauder à sec. Tels les chameaux dans le désert, la rigueur de leur condition les rendra-ils plus efficaces ? (bof)

Nous arrivons enfin au gîte et les trouvons affairés. La distribution de bières rappelle ces images indécentes d'un Kouchner distribuant des sacs de riz devant les caméras. Le matériel aligné à l'extérieur évoque les heures glorieuses des Grandes Expéditions. La corde neuve est coupée sans aucune pitié, cataloguée et marquée à ses deux extrémités aux armoiries du club (et accessoirement de l'année de fabrication et longueur). Notre prédécesseur dans le gouffre, le SGCAF de Grenoble a, à notre demande, laissé les puits d'entrée équipés, on ne prépare donc que les kits pour la suite... Fabien, armé de son peson de Responsable Matériel, s'assurera que chaque kit ne fera pas plus de 7 kg, poids sec : un kit devient lourd comme un âne mort une fois rempli de corde rincée et couverte d'argile. D'ailleurs, pour gagner de la place et du poids, on opte pour de la 8 et 8,5 mm tant que possible : gare aux frottements !

Ma présence n'étant plus requise, je m'affaire tel « Tapir » de la Patrouille des Castors, à préparer une bolognaise traditionnelle pour tout ce petit monde. En début de soirée, Pat et Antoine (Vulcains) nous rejoignent. Ils se joindront à l'équipée le lendemain et choisissent de dormir à la dure, en hamac sous l'auvent du gîte. Mine de rien, on a quand même de la fatigue dans les pattes et personne ne se fera prier pour aller dormir...

Dimanche 11 septembre

Encore un terrible réveil à 8h du matin. Décidément, la spéléo est une activité plus ingrate que le boulot qui nous nourrit tous les jours... Petit déjeuner en mode zombie, préparation de casse-croûte pour l'après-midi. Aujourd'hui, c'est atelier portage, kits spéléo et sherpas.

A 10h30, nous sommes sur le parking de la Molière. Photo de groupe, et nous nous engageons avec nos claies de portage en direction du gouffre. Nous trouvons le Berger une heure plus tard comme prévu. Le lieu est lourd d'histoire, des plaques commémoratives nous rappellent que le gouffre, s'il offre de grandes joies aux spéléos, peut aussi les tuer.
Une équipe se prépare à aller sous terre (Jasmine, Patricia, Sylvain, Antoine, Jean et Yannick). Fabien et moi-même ferons un aller retour supplémentaire pour les derniers kits. A papoter comme des commères, on se retrouve au parking en ¾ d'heure sans avoir vu le temps passer. Le temps de revenir, et nos camarades ont déjà eux-mêmes terminé leur premier aller-retour dans le gouffre.

Au repas du soir, penne rigate aux courgettes, tomates et lardons. Nous testons à l'apéro le mélange de magnésium pour flash en extérieur avec Jean. Au premier essai, la prise est bonne : l'évaluation de nombre-guide est correcte. On tient dans une cuiller à café de quoi éclairer les plus grands volumes du Berger !
Une bière et au lit : la journée du lendemain sera longue...

Forces en présence à la fin de cette première journée de combat :

les 14 kits sous terre :

Keanu (… Reeves. Tellement mou du bulbe qu'il n'ira pas plus loin que le balcon. Désolé pour les fans) : 95 mètres de corde, un paquet d'amarrages et mouskifs
Kenneth (Kenneth Thompson. Commence au « vagin ». désolé.) : 85 mètres de corde, de l'amarrage à loisir
Knut (l'ours polaire du zoo de Berlin) : 93 mètres de corde. Et encore de l'amarrage...
Karl (parce que dans 2001, Karl dit « Dave, je ne peux pas vous laisser faire cela ») : 115 mètres de corde, et ses mousquetons. Son surnom : le parpaing.
Katia : 11 mètres, amarrages...
Ken (le survivant, parce qu'il est presque allé au fond et qu'il en est revenu) : 95 mètres de code
Kadhafi (a touché le fond. définitivement) : 130 mètres de corde.
Kader : bivouac (duvets)
Kahil : bivouac (duvets)
Kaan : bivouac (bouffe)
Kenny (parce qu'on le tuera à la fin de l'épisode) : bateau pour le lac Cadoux
Karl, Kader Kahil, Kaan et « parpaing » Karl passeront la nuit au pied du puits d'entrée.
Kenny, Kean, Kenneth, Knut, Karl, Katia, Ken et Kadhafi dormiront au pied du puits Garby.

Et n'oublions pas non plus les kits du SGCAF :
Kalidiatou en haut du puits Aldo, Kaithleen en haut du puits Gontard, et Kalthoum en bas du puits du Cairn. Ils ne bougeront pas de la semaine...

les huit grotteux, dont deux de surface :

Patricia et Antoine : ont généreusement donné le coup de main pour le portage, mais ne verront pas le Berger plus loin que le puits Garby. Qu'ils soient remerciés pour leur abnégation.
Jasmine, Sylvain, Yannick, Fabien, Jean, Samuel

Lundi 12 septembre

Première sortie collective, avec pour objectif de préparer la pointe de la semaine.
Nous constituons deux équipes. Fabien, Yannick et Sylvain équiperont jusqu’au Vestiaire et descendront les deux kits suivants ainsi qu’un kit de néoprènes, Jasmine, Jean et moi-même porterons le bateau au lac Cadoux et le matériel pour le bivouac jusqu’à la salle des Treize.

L’heure de marche d’approche finit de chasser le sommeil. Arrivés au lapiaz, Jean déplore d’avoir oublié son tabac… la journée sera longue. Comme un oubli n'arrive jamais seul, je me rends compte que mon torse a du rester quelque part au Marguareis. Fabien me passe une sangle et je me bricole un torse de fortune.La première équipe passe devant nous et ramasse un maximum de kits au passage. Nous prenons les kits restés dans l’entrée. Une fois le premier puits passé, on arrive en tête du puits Ruiz.
Le nom de Félix Ruiz de Arcaute, ainsi que la grande partie de la toponymie du Berger nous ramène aux explorations historiques du Berger, mais aussi à la spéléo des années 50-60 : nous marchons dans les pas de nos aînés, dont les noms sonnent comme autant de noms d'explorateurs ou de navigateurs tels des Magellan, Behring, Drake... Pénétrer dans ce gouffre mythique, c'est aussi revivre les récits d'exploration et une part de l'aventure de Jo Berger et de ses camarades.

La tête de puits est surplombée d’une plate-forme constituée de madriers datant probablement des premières découvertes… autant dire qu'elle n’inspire pas confiance. Je préfère prendre appui au plus vite sur les bords du puits, néanmoins pourris par le gel. On arrive sur un petit pendule, suivi d’un premier ressaut avec une déviation, suivie d’un court ressaut (les ressauts Holiday). Cette progression débouche en tête du puits du Cairn. Une main courante sur une margelle mène à la tête de puits. La roche est fractionnée par le gel sur la margelle, mais des générations de spéléos se sont succédé à purger la mauvaise caillasse vers le fond du puits. Un fractio et voici le fond. Nous voici déjà dans une configuration assez vertigineuse. En effet, on arrive au pied d’un ensemble de puits remontants. Ici tout est en hauteur et forme un ensemble impressionnant : pour peu on jugerait que ces puits rejoignent la surface. Les proportions donnent la sensation d'entrer dans une cathédrale. Devant nous se dresse le cairn qui donne son nom au lieu. Derrière nous, deux madriers barrent le passage : la suite est devant… Commence le premier méandre. Fort heureusement, l’expérience n’est pas nouvelle, après le méandre de la dent de Crolles… J'ai même appris à ne plus gueuler et frapper inutilement mon kit qui, objet inanimé, n'a rien demandé à personne pour être lourd, encombrant et inconfortable. Le premier méandre se termine en tête du puits Garby (Jean Garby, premier -1000...), fractionné en un point. Second méandre, un peu plus péteux que le précédent : par moments, il faut faire le grand écart, et certains pas sont un peu exposés : celui-ci est équipé sur certaines portions d'une main courante... C'est forcément ici que Jean choisit de perdre son matériel (poulie, pantin...) en cassant un porte-matériel. Plus menue que ce dernier, Jasmine atteint le plancher du méandre en désescalade et récupère le précieux matériel. La remontée du méandre avec l'assistance de Jean brûle son lot de calories. On finit par voir le bout de ce fichu méandre, et c'est le puits Gontard. Un dernier petit bout de méandre et une courte vire nous mène en tête du puits Aldo (Aldo Sillanoli), et c'est la fin de la succession de puits de l'entrée.

Si aujourd'hui la progression dans ces 250 mètres de puits est aisée, il faut garder à l'esprit qu'à l'époque de la découverte, ces puits étaient descendus à l'échelle, et qu'un équipier devait rester se geler avec un thermos et un paquet de Gitanes maïs à chaque palier pour assurer ses camarades...

Nous arrivons dans la Grande Galerie où nous nous arrêtons pour déjeuner. Une petite randonnée souterraine nous mène un peu plus tard au lac Cadoux (Jean Cadoux, son co-découvreur) où nous installons et gonflons le canot : le lac, à l'étiage pour l'instant, nous offre un triste spectacle de flaques boueuses. Mais il peut monter rapidement en charge, et barrer entièrement la galerie. Un peu plus loin, première belle salle, la salle Bourgin (en hommage à André Bourgin, spéléologue) : ses énormes stalagmites se découpent en silhouettes fantomatiques à la lumière de nos lampes, comme autant de stèles d'une antique nécropole. La galerie s'est élargie. Nous rejoignons l'actif le temps de franchir quelques cascades (cascade de la Tyrolienne, cascade du « Petit Général »). Charles Petit-Didier , le « petit Général », apporta en 1953 la preuve de la continuité du Berger aux cuves de Sassenage en versant 36 litres de fluorescéine dans la cascade qui porte son nom (acte non concerté qui lui valut quelques engueulades)... Le sol est couvert de mondmilch bien glissant... Nous quittons l'actif et descendons le Grand Éboulis. Si jusque là, la cavité était « grande », elle prend maintenant sur ce grand éboulis des proportions de montagne... On fait mur droit en suivant les cairns et les rubalises pour ne pas se perdre. A un moment, on rejoint l'antenne du système Nicola installé à demeure.

Mon faible éclairage n'atteint pas le plafond ni le mur opposé, la seule chose que mon cerveau enregistre, c'est que c'est putain de vachement grand. Près de 150 mètres de dénivelé sur éboulis nous mèneront au bivouac de la salle des Treize (des 13 explorateurs qui la découvrirent en 1954).
Fabien et Sylvain arrivent en même temps que nous, s’en revenant du vestiaire dont le chemin est maintenant équipé. Nous déposons les kits de bivouac, et faisons demi-tour après une courte pause et une rapide incursion dans la partie concrétionnée de la salle des 13 : il y a 500 mètres à remonter et l'heure tourne... Pour ma part je commence à être bien cramé.

L'ascension sur éboulis est fatigante, et je brûle d'inutiles calories à la cascade de la tyrolienne. Arrive le puits Aldo et c'est l'épreuve du feu pour mon torse de guérilla... Je n'arrive pas à resserrer suffisamment la sangle et dois tirer sur les bras pour rester vertical. La remontée est interminable. Le méandre arrive un peu comme des vacances. Le puits Garby est moins terrible, j'ai réussi à resserrer ce fichu torse et faire un bricolage avec des mousquetons. La succession de puits est longue comme un jour sans bière... ça va tirer dans les bras, demain ! Enfin, la sortie. Depuis le dernier puits, on voit les étoiles... Nous nous déséquipons rapidement, car Jean est rendu fébrile par la carence de nicotine : il ne faut pas jouer avec les nerfs des toxicomanes. Nous retournons à la voiture dans le noir, juste éclairés par un beau ciel de pleine lune. Le chemin du retour est long et nous marchons comme des robots. On est repartis pour la ville en écrasant en chemin des drôles de trucs qui couinaient (Anthony Burgess).

Le temps de préparer des gnocchis à la crème, au lard et au bœuf haché façon kluski na parze, Yannick, Fabien et Sylvain nous rejoignent au gîte. Tout le monde est rincé par douze heures passées sous terre, et ça fait des dommages collatéraux autant dans les rangs de la bière que dans le cubi de rouge...

Forces en présence à la fin de cette première journée de combat :

les 14 kits sous terre :

Keanu est arrivé à sa destination finale, le Balcon.
Kenneth aura équipé la suite.
Knut et Karl le parpaing attendront la suite des événements au vestiaire.
Katia dort ce soir au pied du puits Aldo.
Ken et Kadhafi sont punis et restent au puits Garby.
Kader, Kahil, Kaan et Kenny sont arrivés à leur lieu de villégiature, le bivouac de la salle des Treize.

Kalidiatou, Kaithleen et Kalthoum sommeillent en attendant le Grand Soir.

les six grotteux :

Jasmine, Fabien, Yannick, Jean, Sylvain, Samuel

Mardi 13 septembre

Journée off, tout le monde est encore bien fatigué de la veille. On en profite pour refaire un plein de victuailles et douceurs liquides sur fond de Blitzkrieg Bop.
La journée se terminera sur un risotto maison aux champignons. Le Bowmore est quasiment à l'étiage...

Mercredi 14 septembre

Une météo pourrie, et un certain manque de motivation... encore une journée qui se passera en surface.
Pendant que Jasmine s'amuse sur le p'tit cheval, le reste de l'équipe va à Autrans racheter de la bière, de la gentiane, et grignoter des pizzas...
Je recherche une revue cochonne pour faire une photo dans le bivouac. Las, les gens du pays sont plutĂ´t sages, la revue la plus sale que je trouverai chez le marchand de journaux est Playboy. Triste Ă©poque. Qu'importe, le concept est lĂ ...
Puisqu'il ne faut pas se laisser abattre, on s'attablera le soir devant un poulet au citron et aux olives noires. En ce milieu de semaine, l'heure est au bilan. Nous ne sommes pas assez nombreux pour assurer du portage et une pointe jusqu'au fond... Foutu pour foutu, on attaque le second cubi.

Jeudi 15 septembre

C'est la journée de pointe pour Yannick, mais surtout Fabien et Sylvain qui devront nous quitter le lendemain pour célébrer l'union d'un camarade troglophile et d'une-de-la-Surface.
Jasmine victime d'un torticolis, décide de faire relâche. Handicap qui ne sera pas pénalisant pour l'équitation...
Nous avions prévu de faire une session photo : Yannick se sacrifie et nous accompagnera avec Jean.
Déjà, il faut songer à remonter des kits : outre la pointe et la session photo, nous allons aussi faire les sherpas...
Fabien et Sylvain partent un peu en avance sur nous, et pour cause, leur programme est un peu plus chargé. Pour notre part, ça sera aussi chronométré : on se donnera trois heures pour prendre des photos.

C'est donc reparti pour la succession des puits d'entrée, le passage des méandres, enfin l'Aldo qui nous mène à la grande galerie. Connaissant déjà le gouffre, la progression est un peu plus rodée. Après une courte pause prandiale, direction la salle des 13. Toujours la même impression d'immensité. Yannick et Jean sont à la Scurion, autant dire que je peux éteindre ma dudule, aveuglé que je suis par leur débauche de lumens. Leurs lampes dévoilent le plafond, bien loin au-dessus de nous. Le lac Cadoux est toujours à sec. La salle Bourgin me paraît toujours autant photogénique, s'il nous reste un peu de temps, au retour, nous l'immortaliserons sur le silicium (eh ouais, c'est has been la gélatine maintenant...). La progression sur le grand éboulis est toujours aussi impressionnante : l'impression de descendre une montagne... sous terre. Un bel espace pavé de gours et une touche de stalagmites géants, voilà la salle des treize. Dans la foulée, la salle Germain. On arrive sur les belles parties concrétionnées du Berger, finis les éboulis et galeries boueuses... malheureusement on n'ira guère plus loin. Après le puits du Balcon, on se donne comme terminus la vire du Vagin pour commencer notre session photo. Les premières photos sont prometteuses, en vingt minutes seulement, nous sortons un cliché valide avec de l'open-flash. Prochaine étape, la salle Germain. Après un cliché éclairé à la Scurion, Jean sort son mélange secret de poudre de magnésium. Le résultat est très vif, le magnésium donne des ombres très crues et un bon relief. Deux autres prises en plongée de la même salle donnent une impression de volume. Le magnésium est roi et éclaire jusqu'au plafond... C'est au tour de la salle des treize. On tente une photo inhabituelle en open-flash avec les énormes stalagmites en contre-jour puis on termine notre séance avec des vues des gours. Au 16 mm, l'impression d'immensité est saisissante... L'air de rien nous avons quasiment épuisé notre planning photo. Un dernier cliché mettra en valeur le confort du bivouac équipé en revues-de-routier et nous rebroussons chemin avec les kits du bivouac : Jean et Yannick sont harnachés comme des sherpas, et je porte aussi ma croix sous la forme d'un parpaing de matériel photo. Retour sans histoire jusqu'à la grande galerie. Fabien et Sylvain nous rattrapent, eux-mêmes chargés comme des mulets des kits du fond, allègrement imbibés d’eau claire et fraîche, ayant pour effet d’en doubler le poids. Ces derniers auront passé les Coufinades et poussé leur pointe jusqu'à la cascade Claudine. Comme il y aura de l'attente dans les puits, un petit casse-croûte fait patienter. Faute d'avoir emporté des couverts, Jean dégustera ses nouilles asiatiques à la clé de 13...

Après douze heures sous terre, retour au gîte, bière, cubi, et poulet au citron. Le Bowmore rend son dernier souffle. La gentiane n'est bientôt plus qu'un souvenir...
La nouvelle équipe pour le week-end, constituée d'Alain, Aurélien, Émilie arrive dans la nuit. Tonio arrivera le lendemain matin par le train.

Forces en présence :

10 kits sous terre, 4 kits remontés en surface :

Keanu reste au Balcon, Kenneth avant le Vestiaire.
Exeunt Knut et Karl le parpaing qui ont fait un aller-retour à la cascade Claudine, et sont remontés en surface.
Exeunt Kader et Kahil remontés en surface.
Katia, Ken et Kadhafi n'iront pas plus loin que respectivement le puits Aldo et le puits Garby, faute de protagonistes pour pousser l'aventure plus loin.
Kaan et Kenny sont remontés de la salle des Treize jusqu'au puits Garby.
Kalidiatou, Kaithleen et Kalthoum n'ont pas plus de raisons de bouger que lundi...

le Club des Cinq grotteux :

Yannick, Jean, Samuel, et dernière sortie pour Fabien et Sylvain

Sur le p'tit ch'val :

Jasmine

Vendredi 16 septembre

Lever tardif des petits camarades arrivés dans la nuit. Une première équipe (Alain, Aurélien et Émilie) part pour le gouffre. Yannick dépose Fabien et Sylvain à la gare Grenoble, et récupère Tonio dans la foulée. Jasmine se joint à ce dernier pour une ultime sortie dans le Berger.
Nous devons libérer le gîte le lendemain matin. Suite à merdoyage de la part du responsable du gîte, notre logement pour le samedi n'est plus disponible. Jean nous dégotte in extremis un toit pour la nuit du lendemain. Une journée de rangement et de farniente s'écoule. Alex, venu directement de Dijon, nous rejoint en soirée. Une salade de gésiers, sans trop de salade, une bière et au lit. Nous attendons nos camarades vers 1h-2h du matin. Leur retour nous réveillera et nous nous relèverons boire des bières en leur compagnie.

…

Une rumeur dans la nuit me tire de mon sommeil. J'ai comme un choc en regardant l'heure : il est 5h30 (on approche des 15h de TPST) ! Je descends vite fait dans la salle commune pour prendre la température. Tonio pète la forme comme toujours et se mange des œufs sur le plat à même la poêle. Le reste de l'équipe va de « frais » à « carrément périmé » en passant par toutes les étapes intermédiaires de la déchéance. Émilie jure à qui veut l'entendre que la spéléo c'est fini pour elle. Tout le monde aura poussé jusqu'au Vestiaire, Aurélien et Tonio jusqu'au début des Coufinades. Autant dire que l'épreuve qui les attend dans quelques heures ne sera pas de tout repos, à savoir : nettoyer le gîte, matos compris, et débarrasser le plancher avant midi.

Forces en présence :

8 kits sous terre, deux kits remontés :

Keanu et Kenneth sont remontés au pied du puits Garby.
Katia est remontée en haut du puits Garby.
Exeunt Ken et Kadhafi, remontés en surface.
Kaan et Kenny restent au puits Garby.

Kalidiatou, Kaithleen et Kalthoum vivent leur dernière nuit sous terre.

Les cinq grotteux :

Alain, Aurélien, Tonio, Émilie, Jasmine

Coucher d'orange, 41 bureaucratie

Nous nous donnons comme objectif de ressortir un maximum de kits du Berger, avec pour priorité, les kits du SGCAF. L'équipe de portage est constituée d'Alex, Jean et moi-même. La journée va être une sorte de reconstitution des 12 travaux d'Hercule, version troglophile.
Yannick, seule personne restée fraîche au gîte, gérera le déménagement et réveillera nos camarades sur fond de métal torturé, avec le même CD évoqué plus haut, dont les hurlements évoquent les cris d'un gars constipé en pleine crise d'hémorroïdes.

La météo commence à être pourrie. Le temps d'arriver sur le lapiaz et il se met à tomber une espèce de crachin pénible. On s'équipe sans grande motivation. En patientant au sec, à l'abri des arbres, Alex nous explique l'évolution de l'art de la guerre au Japon médiéval. Techniquement, les kits à remonter sont au-dessus des parties qui craignent le plus l'eau, excepté le puits Aldo. Nous descendons jusqu'au pied du puits Garby avec Alex pour remonter les quatre kits qui ont été laissés là. Jean ira déséquiper à partir du puits Aldo jusqu'au puits Gontard, soit deux kits à se remonter et à balader dans le second méandre.C'est parti pour une remontée avec deux kits au cul. Une fois en haut du puits, la fête commence, puisqu'il va falloir pousser ces kits jusqu'au bout du méandre. Le début du méandre est péteux et les pas sont rendus délicats par notre chargement. Alex trouve un usage pertinent à la main courante molle qui nous avait semblé inutile les autres jours : nous l'utilisons pour longer les kits et les faire coulisser. Sur le papier, comme ça, ça semble facile. Mais outre le fait qu'il faut sauter les amarrages, la main courante est faite d'une corde rapiécée dont les nœuds ne passent pas dans les mousquetons. Quoiqu'il en soit, notre petite mécanique finit par s'organiser et nous nous relayons dans le méandre pour sortir les cinq kits (nos camarades ayant abandonné un orphelin en tête du puits la veille). Nous perdons la notion du temps. Au bout d'un litre d'eau et trois barres chocolatées, les kits sont hors du méandre.

Jean finit par nous rejoindre à la tête de puits avec ses deux kits d'équipement, et les rotations reprennent. C'est donc une file d'attente de sept kits que nous allons gérer dans le puits du Cairn. Problème, ce puits est fractionné. Jean s'installe au fractionnement, Alex en tête. La remontée des kits se fait au palan avec poulie/bloqueur. Je reste au pied de ce puits qui commence à pissotter à accrocher les kits pendant ce qui me semble durer une éternité... Le gouffre est froid et je commence à être trempé. Le déséquipement du puits va me remettre un peu de sang dans les veines. Même organisation plus haut, mais la déviation des ressauts Holiday complique la tâche. Jean reste à faire une déviation humaine tandis que je guide les kits depuis le bas pour éviter les frottements. Nous commençons à être mûrs pour des exercices de secours... Je déséquipe les ressauts, ce qui ajoute un kit à nos 7 kits... A mon tour de jouer au palan en tête du puits Ruiz. Jean accrochera les kits. Comme vu plus haut, la plate-forme est pourrie, et les abords du puits gélifractés. Il ne fait pas bon rester en bas. En tous cas, on n'avait pas encore entendu Jean gueuler comme ça : il faut dire qu'à chaque sortie de kit, c'est la chute de cailloux assurée. Je reste suspendu en tête de puits dans le vide et remonte les kits au palan/bloqueur/pédale. Encore un boulot de galérien que je refuserais de faire si on devait me payer... La sortie de puits est péteuse, on finit par trouver une configuration en longeant les kits à la main courante, qui épargne un peu à Jean de se prendre une pluie de caillasses. Il est grand temps que l'on sorte, bien que l'on soit hors crue depuis un certain temps : l'orage vient d'éclater dehors. Le lapiaz boit de l'eau depuis le début de la semaine et est en charge. La moindre nouvelle goutte passe directement sous terre. Et nous entendons soudainement de l'eau couler en contrebas, comme si quelqu'un venait d'ouvrir un robinet... Enfin, nos sept foutus kits sont au pied du puits d'entrée. Comme nous en avons marre des aller-retour de kits et que c'est la dernière verticale, Alex remonte avec quatre kits, je le suis avec trois kits. Le gros travail de la journée est fait. Jean ajoute à nos kits les deux derniers kits d'équipement : nous avons refermé le gouffre.

Il est plus de 23 h. L'orage balaie le lapiaz. Alors qu'avec Alex nous nous laissons aller à une joyeuse et futile auto-congratulation, Jean est plutôt à la panique : il faut vite prévenir les autres que nous sommes sortis. Forcément, les mobiles ne captent pas sur le lapiaz. Nous rentrons donc sous l'orage au pas de charge sans nous déséquiper. Par endroit, le lapiaz est devenu une piscine. On imagine qu'après le puits Aldo, ça doit être un peu l'enfer en dessous. Finalement, nos SMS arrivent à passer, en espérant que quelqu'un est encore réveillé pour les lire. A tout moment, je m'attends à croiser nos camarades venus à notre rencontre. Le retour dans l'obscurité et sous la pluie est un long moment de solitude : nous pensons très fort à la bière fraîche, le bon repas et la douche chaude qui nous attendent. Je laisse mon esprit vagabonder sur des pensées impures comme : manger un rôti de veau à l'orange, ou poser tranquillement ma pêche avec une bonne bédé. On se presse donc d'arriver à notre refuge pour la nuit.

Et là – pour reprendre l'expression consacrée – c'est le drame. Le terme refuge n'est pas usurpé. On arrive dans une pièce commune plongée dans l'obscurité, et pour cause, il n'y a pas d'électricité. Quand à la douche chaude, le rêve s'envole illico. Pleins de prévenance, nos camarades qui ronflent dans le dortoir de 20 places à l'étage nous ont laissé une gamelle de pâtes à la carbonara fossilisées. Nous les réchaufferons et mastiquerons en silence, afin de ne pas réveiller les non-Abîmés qui dorment aussi dans le refuge. Il reste quelques bières tièdes. Pour les bières fraîches, il faut les extraire dehors d'un carton délavé par la pluie. Juste éclairés à la bougie, encore trempés de notre retour, l'ambiance n'est pas vraiment à la fête. Après cette journée de forçats des profondeurs, la rusticité du refuge donne un sentiment de double peine. Parmi les consignes laissées par nos camarades, Jean devra dormir dans la salle commune, sur une table (on repense forcément à ces westerns où, le saloon étant complet, les cow-boys dorment sur le billard). De mauvais esprits prétendent que ses ronflements pourraient importuner les étrangers, voire réveiller les enfants en bas âge qui les accompagnent. Délicate intention. Stupide intention comme on le verra rapidement. Bien lessivés et encore humides de notre rincée sous l'orage, nous nous couchons dans un dortoir surpeuplé et nous endormons bercés par le rythme de la respiration et des pets feutrés de quinze dormeurs... Courte nuit. Alors que je sombre dans un sommeil que j'estime mérité, un foutu nourrisson fait valoir son droit à l'expression avec des hurlements d'animal blessé. C'est donc une alternance de micro-sommeil interrompu par des cris qui va nous mener jusqu'au petit matin. Pour Alex et moi, ce n'est pas vraiment un souci, on se rattrapera sur la grasse matinée. En ce qui concerne nos camarades, c'est beaucoup moins drôle : lever à huit heures du matin pour faire le portage de retour de tous les kits.

Forces en présence :

trois déménageurs sous terre :

Jean, Alex, Samuel

six déménageurs de surface :

Yannick, Tonio, Alain, Emilie, Jasmine, Aurélien

tous les quatorze kits sont en surface ! (on aura compris que le Berger est une sordide histoire de manutention)

Exeunt Keanu, Kenneth, Katia, Kaan, Kenny, Kalidiatou, Kaithleen et Kalthoum

Quelques statistiques :

Au total, à la louche, l'ensemble des 14 kits aura descendu (et remonté) 5593 mètres...
Les vaillants explorateurs, totalisant 25 sorties, auront descendu et remonté un total de 10946 mètres. Un rapide calcul nous amène aussi à l'inévitable conclusion que pour monter 438 mètres, il faut un litre de bière.

Dimanche 18 septembre

Bref, au petit matin, le refuge se lève, tout le monde a forcément les yeux en trou de pine et je savoure enfin le calme avec au moins une heure de sommeil ininterrompue. Je finis par me faire violence pour aller prendre un petit déjeuner dans la salle commune. Et c'est un spectacle surréaliste qui m'attend. Une bande bruyante de jeunes randonneurs du dimanche avec leurs gosses gueulards est attablée pour le premier repas, et au bout de la grande table, Jean dort encore du sommeil du juste. Quitte à passer une nuit atroce sous fond de hurlements de nourrisson, Jean aurait du se joindre à nous et contre-attaquer avec ses légendaires vocalises nocturnes. La matinée s'écoule en mode zombie, et pour peu on jouerait à cap's s'il restait assez de bière. Comme le refuge est avant tout un restaurant à touristes, on nous mettra à la porte à midi. Cerise sur le gâteau, il tombe de la neige fondue. Sur le lapiaz, le portage de kit doit être un moment inoubliable.

La nature fait plutôt bien les choses : au moment même où l'on nous expulse pour laisser place à des daronnes recuites aux UV et couvertes de peaux d'animaux morts, nos vaillants sherpas reviennent de leur expédition épique. Comme prévu, ils sont transits de froid et trempés jusqu'à la moelle. Décidément, le Vercors ne veut plus de nous.
Nous partons sur les chapeaux de roue en jurant qu'on ne nous y reprendra plus, et parce que une semaine loin de Paris, c'est déjà trop long.
Enfin, vivement l'odeur du métro. On ne devrait jamais quitter Montauban Paris.

Forces en présence :

six sherpas sous la neige :

Yannick, Tonio, Alain, Emilie, Jasmine, Aurélien

trois buveurs de bière à l'abri :

Jean, Alex, Samuel


Samuel

Participants

Yannick A. , Jean C. , Fabien C. , Sylvain C. , Alain G. , Jasmine L. , Samuel L. , Emilie M. , Antoine R. , Aurélien S.

Commentaires

Commentaire posté par Jean le 07/12/2011
MĂŞme pas entendu les drĂ´les de trucs couiner...

Commentaire posté par Hugo le 03/12/2011
Superbe compte rendu comme à son habitude, merci de m'avoir fait vivre ca au fin fond de la Russie. Une pensée à vous.

Commentaire posté par Jasmine le 02/12/2011
Ouarffff Merci Sam pour ton compte rendu ! Bon alors :) on se refait le Berger quand entre blondes ?